Pendant sa vie de peintre, Jean Bréant n'a jamais cessé en tout, d'explorer le fond des choses sans s'attarder trop -en cela I'œuvre est exemplaire -aux douces satisfactions de la « peinture de visu » dont il s'est éloigné tôt, malgré la tradition de I'Ecole de Rouen dont il s'est réclamé. ' Jean Bréant préfère chercher dans l'abysse des souvenirs, les filières des thèmes et leurs variations parfois insolites, toujours en des choix imprévus, d'où la richesse de cette œuvre, dans les intentions et les aboutissements picturaux. Mais il faut parler d'un climat avant de situer une œuvre ...
Une enfance où se dessine clairement l'ébauche d'une aptitude à pratiquer une profession artistique, mais par quelles voies ? Dans le début des années trente, il se trouve, sans doute par osmose et émulation, au carrefour d'un choix, que tout au long de sa vie, il ne cherche pas à orienter très formellement.. .
A la Maîtrise Saint-Evode, des études fondamentales de piano et d'orgue, poussées assez loin pour accéder au niveau de concertiste, l'amènent dans un temps à envisager d'en faire son métier. La guerre, l'occupation, les difficultés du moment en disposent autrement. En même temps se précise une attirance vers la peinture, puisqu'avec Gaston Sébire, condisciple juvénile (lié à lui depuis lors par une amitié profonde) il aborde avec enthousiasme, la quête des paysages normands traduits en un fauvisme spontané. Bien sûr, il y a pour ces jeunes rouennais, la fascination de l'influente souche post-impressionniste, créatrice d'avatars multiples avec l'exemple des peintres de la seconde génération : Louvrier, Pinchon, Le Trividic, Duhamel, et aussi Léonard Bordes. Jean Bréant, après avoir sacrifié, par tentation du pastiche à l'ambiance omniprésente de l'Ecole de Rouen a très vite, forte personnalité aidant, cerné les contours de sa saga personnelle.
Ainsi donc, s'ouvrent à lui les deux voies d'un dilemme qui, entre la peinture et la musique le poursuivra toute sa vie, jusqu'à le faire s'en accommoder par le truchement d'une marginalisation simulée qui affleure et ressurgit par moments.
II n'est donc pas étonnant que la fibre musicale vibre en continu dans I'œuvre peinte, sans compter que des voies secondaires dérivent de ces deux axes et on perçoit parfois une certaine difficulté à maîtriser cette visible dispersion. On voit les signaux multiples qui sollicitent un adolescent qui y répond par plaisir.
   
Sans toutefois comme un autre, être réputé « le Paganini des violons d'Ingres » on trouve déjà, chez Jean Bréant une tendance aux investigations les plus diverses : transfuge beethovénien au Red Cross Big Band champion du défoulement musical dans les soirées tabagiques de la libération, où accompagnateur goguenard dans l'ambiance chansonnière de l' « Equipe de la bonne humeur ». pour revenir 40 ans plus tard au récital, apogée d'un art au faîte de sa maîtrise. Non, décidément, le choix irrémédiable, l'option définitive ne se fera jamais, seulement il incline à polariser sa sensibilité expressive sur la peinture, parce que le cadre intime de l'élaboration correspond en fin de compte beaucoup mieux au confort de l'introversion, plutôt que les aléas d'une carrière musicale forcément confrontée à la présence permanente du public.

Autodidacte studieux, curieux invétéré de toutes acquisitions enrichissantes, lecteur infatigable et boulimique, cinéphile averti, mélomane militant très au fait des choses du spectacle, il a le don rare de pouvoir insérer au sein de son œuvre des instants d'émotion, des étincelles furtives aussitôt transposées -Peinture, musique ...allez savoir !

 

Pierre Gautiez